Page:Mérimée - Portraits historiques et littéraires (1874).djvu/268

Cette page a été validée par deux contributeurs.
260
PORTRAITS HISTORIQUES ET LITTÉRAIRES.

choses et les hommes fournissent souvent au lecteur l’occasion de comparer son époque à la nôtre. Dans tous les cas, il faut se garder de juger les actions des hommes du xvie siècle comme nous jugeons celles du xixe. Nous ne sommes pas de ceux qui croient que nos aïeux valussent beaucoup mieux que nous ; nous ne pensons pas non plus que nous leur soyons très-supérieurs en moralité. Il n’y a pas de nation probablement qui ait moins changé que les Français ; leur portrait par César est encore ressemblant, et, pour remonter plus haut que César et Posidonius, les Gaulois vainqueurs à l’Allia ne sont-ils pas bien nos aïeux ? Pour réfuter l’outrecuidance de Niebuhr à refaire l’histoire romaine, il suffit de lire dans Tite-Live les détails de la prise de Rome. Les vieux annalistes qu’il a transcrits n’ont pas composé un roman lorsqu’ils ont trop exactement noté ce trait caractéristique de notre nation, qui passe si facilement de l’enthousiasme à l’ironie, du respect à l’insulte et à la fureur. Quoi de plus français que cette avant-garde de Brennus s’arrêtant saisie de vénération devant les vieux sénateurs assis dans leurs chaires curules ? Puis vient leur loustic, un enfant de Lutèce, sans aucun doute, qui leur tire la barbe. On sait le reste.