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PORTRAITS HISTORIQUES ET LITTÉRAIRES.

rionnettes que j’avais vues une heure avant dansaient devant mes yeux. Rentré chez moi, je dormis comme à l’ordinaire. Le lendemain matin, la vision du cabinet noir avait cessé de m’apparaître sous son aspect bouffon. Cela me sembla vilain, triste et sale. Chaque jour cette image devint de plus en plus triste et odieuse, chaque jour ajoutait un nouveau poids à mon malheur. Pendant dix-huit mois je demeurai comme abruti, incapable de tout travail, hors d’état d’écrire, de parler et de penser. Je me sentais oppressé d’un mal insupportable, sans pouvoir me rendre compte nettement de ce que j’éprouvais. Il n’y a pas de malheur plus grand, car il ôte toute énergie. Depuis, un peu remis de cette langueur accablante, j’éprouvais une curiosité singulière à connaître toutes les infidélités qu’on m’avait faites. Cela me faisait un mal affreux ; mais pourtant j’avais un certain plaisir physique à me la représenter dans le cours de ses nombreuses trahisons. Je me suis vengé, mais bêtement, par du persiflage. Elle s’affligea de notre rupture et me demanda pardon avec larmes. J’eus le ridicule orgueil de la repousser avec dédain. Il me semble encore la voir me suivre, s’attachant à mon habit et se traînant à genoux le long d’une grande