Page:Mérimée - Portraits historiques et littéraires (1874).djvu/176

Cette page a été validée par deux contributeurs.
168
PORTRAITS HISTORIQUES ET LITTÉRAIRES.

Voilà une de ces exagérations dont je parlais tout à l’heure. Nous riions quand Beyle nous racontait cette histoire ; mais lui n’y voyait qu’une tyrannie cléricale et une horrible injustice, où il n’y avait pas le mot pour rire, et il sentait aussi vivement qu’au premier jour la blessure faite à son jeune amour-propre.

« Nos parents et nos maîtres, disait-il, sont nos ennemis naturels quand nous entrons dans le monde. » C’était un de ses aphorismes. On pense bien que ce ne fut pas à ses précepteurs qu’il emprunta ses croyances. Il citait souvent Helvétius avec grande admiration, et même il m’obligea de lire le livre de l’Esprit ; mais jamais, à ma prière, il ne consentit à le relire. Je suppose qu’il y avait pris, entre autres opinions, celle de l’égalité des intelligences humaines. Du moins il ne pouvait se persuader que ce qui lui semblait faux pût paraître véritable à un autre. Il s’imaginait, et de très-bonne foi, je pense, qu’au fond chacun partageait ses idées, mais qu’on tenait un autre langage par intérêt, par affectation, par mode ou par entêtement. Il était fort impie, matérialiste outrageux, ou, pour mieux dire, ennemi personnel de la Providence, peut-être par suite de l’aphorisme que je rapportais