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PORTRAITS HISTORIQUES ET LITTÉRAIRES.

entre la première syllabe et le reste du mot, mais il souffrait impatiemment que la logique des autres ne fût pas la sienne. D’ailleurs, il ne discutait guère. Ceux qui ne le connaissaient pas attribuaient à un excès d’orgueil ce qui n’était peut-être que le respect des convictions des autres : « Vous êtes un chat, je suis un rat, » disait-il souvent pour terminer la discussion…

En 1813, Beyle fut témoin involontaire de la déroute d’une brigade entière, chargée inopinément par cinq cents Cosaques. Beyle vit courir environ deux mille hommes, dont cinq généraux reconnaissables à leur chapeau brodé. Il courut comme les autres, mais mal, n’ayant qu’un pied chaussé et portant une botte à la main. Dans tout ce corps français, il ne se trouva que deux héros qui firent tête aux Cosaques : un gendarme nommé Menneval et un conscrit qui tua le cheval du gendarme en voulant tirer sur les Cosaques. Beyle fut chargé de raconter cette panique à l’empereur, qui l’écoutait avec une fureur concentrée, en faisant tourner une de ces machines de fer qui servent à fixer les persiennes. On chercha le gendarme pour lui donner la croix, mais il se cachait et nia d’abord qu’il eût été à l’affaire, persuadé que rien n’est si mauvais