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CERVANTES.

nombre voulait partir sans l’attendre ; mais Cervantes leur reprocha vivement cette ingratitude envers un homme qui, tous les jours, exposait sa vie pour eux ; bref, il fit tant par ses prières, qu’il les décida à ne pas s’embarquer sans lui.

Ce débat avait duré quelque temps, et le Majorquin, ne recevant pas de réponse à son signal, hésitait à débarquer. Cependant il s’était rapproché de plus en plus du rivage, et il allait prendre terre, lorsque plusieurs Mores parurent à quelque distance du jardin. Surpris de voir un bateau pêcher dans ce lieu, qui d’ordinaire n’était pas fréquenté, ils s’approchèrent pour le reconnaître. À leur vue, Viana effrayé, et se croyant poursuivi, gagna le large pour ne plus reparaître.

Quand son petit bateau disparut derrière l’horizon, on peut imaginer le désespoir de ces malheureux, qui avaient cru leur délivrance si prochaine. Tous accusaient Cervantes de leur avoir fait perdre une occasion qui ne se représenterait plus, de les avoir livrés, sans ressources, à la vengeance d’un maître impitoyable. Cependant, comme il est facile de faire renaître l’espérance des infortunés, Cervantes parvint à ranimer leur courage en leur persuadant que Viana avait gagné le large