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vois presque double ; pendant que vous mangez des pêches fondantes, j’en mange de jaunes très-acides et d’un goût singulier qui n’est pas trop déplaisant et que je voudrais vous faire connaître. Je mange des figues de toutes couleurs ; mais je n’ai nul appétit à tout cela. Je m’ennuie horriblement le soir, et je commence à regretter la société des bipèdes de mon espèce. Je ne compte point les provinciaux pour quoi que ce soit. Ce sont des choses à mes yeux souvent fatigantes, mais tout à fait étrangères au cercle de mes idées. Ces Méridionaux sont d’étranges gens : tantôt je leur trouve de l’esprit, tantôt il me semble qu’ils n’ont que de la vivacité. Ce voyage me les fait voir un peu plus en laid qu’à l’ordinaire. Mon seul plaisir, dans le pays assez beau que je parcours, serait de rêvasser à mon aise, et je n’en ai pas le temps. Vous devinez à quoi j’aimerais rêver, et avec qui ? Je voudrais vous raconter quelques histoires dignes d’être envoyées à deux cents lieues : malheureusement, je n’en apprends pas qui se puissent raconter. J’ai vu l’autre jour les ravages d’un torrent qui a noyé cent vingt chèvres, rasé des maisons, et vous avez eu mieux que cela à Paris ;