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nos sentiments étaient contraires en tout et sur tout. Les concessions que nous nous faisions l’un à l’autre n’avaient d’autre résultat que de nous rendre plus malheureux. Plus clairvoyant que vous, j’ai sur ce point de grands reproches à me faire. Je vous ai fait beaucoup souffrir pour prolonger une illusion que je n’aurais pas dû concevoir.

Pardonnez-moi, je vous en prie, car j’en ai souffert comme vous. Je voudrais vous laisser de meilleurs souvenirs de moi. J’espère que vous attribuerez à la force des choses le chagrin que j’ai pu vous occasionner. Jamais je n’ai été avec vous tel que j’aurais voulu être, ou plutôt tel que l’avais le projet de paraître à vos yeux. J’ai eu trop de confiance en moi. J’ai cherché dans mon cœur à combattre ce que ma raison me démontrait. À tout prendre, peut-être vous en viendrez à ne voir dans notre folie que son beau côté, à ne vous rappeler que des moments heureux que nous avons trouvés l’un auprès de l’autre. Quant à moi, je n’ai pas le moindre reproche à vous faire. Vous avez voulu concilier deux choses incompatibles et vous n’avez pas réussi. Ne dois-je pas vous savoir gré d’avoir essayé pour moi l’impossible ?