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les gens y sont bêtes à outrance. Personne n’ouvre la bouche si ce n’est pour faire son éloge, et cela depuis l’homme qui porte un habit noir jusqu’au portefaix. Aucune apparence de ce tact qui fait le gentleman et que j’ai retrouvé avec tant de plaisir parmi les gens du peuple en Espagne. À cela près, il est impossible de voir un pays qui ressemble plus à l’Espagne. L’aspect du paysage et de la ville est le même. Les ouvriers se couchent à l’ombre ou se drapent de leurs manteaux d’un air aussi tragique que les Andalous. Partout l’odeur d’ail et d’huile se marie à celle des oranges et du jasmin. Les rues sont couvertes de toiles pendant le jour, et les femmes ont de petits pieds bien chaussés. Il n’y a pas jusqu’au patois qui n’ait de loin le son de l’espagnol. Un plus grand rapport se trouve encore produit par l’abondance des cousins, puces, punaises, qui ne permettent pas de dormir. J’ai encore deux mois à mener cette vie avant de revoir des êtres humains ! Je pense sans cesse à mon retour à Paris, et mon imagination me peint je ne sais combien de délicieux moments passés avec vous. Peut-être ce que je puis espérer de mieux, c’est de vous voir une