Page:Mérimée, Lettres à une inconnue 1,1874.djvu/236

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Je suis ici dans une horrible petite ville perchée sur une haute montagne, assassiné par les provinciaux, et fort préoccupé d’un speech que je dois faire demain. Je représente, et vous me connaissez assez pour savoir combien le métier d’homme public m’est odieux. J’ai pour me consoler un compagnon de voyage très-aimable et une admirable église qui me doit de ne pas être par terre à l’heure qu’il est. Lorsque j’ai vu cette église pour la première fois, c’était fort peu de temps après vous avoir vue à ***. Je me demandais aujourd’hui si nous étions plus fous alors que maintenant.

Ce qu’il y a de certain, c’est que nous nous faisions l’un de l’autre une idée probablement très-différente de celle que nous avons maintenant. Si nous avions su alors combien nous nous ferions enrager l’un l’autre, croyez-vous que nous nous serions revus ? Il fait un froid affreux, de la pluie et des éclairs au milieu de tout cela. J’ai une rame de prose officielle à écrire, et je vous quitte d’autant plus facilement que ce ne sont pas des tendresses que j’aurais à vous dire. Je suis aussi mécontent de moi-même que de vous. C’est cependant la force des choses à qui