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nous me prouvent que nous sommes très-différents, et, comme, malgré cette différence-là, il y a entre nous une affinité grande, — c’est le Wahlverwandschaft de Goethe, — il résulte nécessairement un combat qui me fait souffrir. Lorsque je dis que je souffre, ce ne sont pas des reproches que je vous adresse. Je vois en noir ce qu’un instant auparavant j’avais vu en couleur de rose. Vous savez très-bien effacer ce noir avec deux paroles, et, ce soir, en lisant votre lettre, je pense avec bonheur que le soleil n’est peut-être pas perdu. Mais votre système de gouvernement est toujours le même ; vous me ferez toujours enrager après m’avoir rendu par moments très-heureux. Quelqu’un plus philosophe que moi prendrait le bonheur quand il vient et ne se fâcherait pas du mal. C’est le défaut de ma nature de me rappeler tout le mal passé quand je souffre ; mais aussi je me rappelle tout le bonheur quand je suis heureux. J’ai beaucoup travaillé à vous oublier depuis tantôt trois semaines, mais je n’y ai pas trop bien réussi. L’odeur de vos lettres a été une difficulté très-grande à la tâche que je m’étais imposée. Vous souvenez-vous