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mais c’est son chef-d’œuvre ! Décidez-vous d’après cela, je m’en lave les mains. Le mal des Grecs, c’est que leurs idées de décence et même de moralité étaient fort différentes des nôtres. Il y a bien des choses dans leur littérature qui pourraient vous choquer, voire même vous dégoûter, si vous les compreniez. Après Homère, vous pouvez lire en toute assurance les tragiques, qui vous amuseront et que vous aimerez parce que vous avez le goût du beau, τὸ καλόν, ce sentiment que les Grecs avaient au plus haut degré et que nous tenons d’eux, nous autres, happy few. Si vous avez le courage de lire l’histoire, vous serez charmée d’Hérodote, de Polybe et de Xénophon. Hérodote m’enchante. Je ne connais rien de plus amusant. Commencez par l’Anabase ou la Retraite des Dix Mille ; prenez une carte de l’Asie et suivez ces dix mille coquins dans leur voyage ; c’est Froissard gigantesque. Puis vous lirez Hérodote, enfin, Polybe et Thucydide ; les deux derniers sont bien sérieux. Procurez-vous encore Théocrite et lisez les Syracusaines. Je vous recommande bien aussi Lucien, qui est le Grec qui a le plus d’esprit, ou plutôt de notre esprit ; mais il est bien