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au propre et au figuré. Quel homme de notre siècle, je dis parmi les hommes d’État, n’est pas complétement racorni, complétement insensible à l’âge où il peut prétendre à la députation ? Je voudrais montrer un peu la différence de ce monde-là avec le nôtre ; mais comment faire ?

Êtes-vous arrivé, dans l’Odyssée, à un passage que je trouve admirable ? C’est lorsque Ulysse est chez Alcinoüs inconnu encore et qu’après dîner un poëte chante devant lui la guerre de Troie. Le peu que j’ai vu de la Grèce m’a mieux fait comprendre Homère. On voit partout dans l’Odyssée cet amour incroyable des Grecs pour leur pays. Il y a dans le grec moderne un mot charmant : c’est ξένιτεία, l’étrangeté, le voyage. Être en ξένιτεία, c’est pour un Grec le plus grand de tous les malheurs ; mais y mourir, c’est ce qu’il y a de plus effroyable pour leur imagination. Vous raillez ma gastronomie : avez-vous compris les entrailles que les héros mangent avec tant de plaisir ? Les pallicares modernes en mangent encore ; cela s’appelle κονκονρέτζι, et cela est vraiment délicieux. Ce sont de petites brochettes de bois de lentisque parfumé, avec quelque chose de crous-