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susdit. Vous liriez la grammaire pendant un mois pour vous endormir. Cela ne manquerait pas son effet. Après deux mois, vous vous amuseriez à chercher dans le grec le mot traduit, en général, assez littéralement par M. Montbel ; deux mois après encore, vous devineriez assez bien, par l’embarras de sa phrase, que le grec dit autre chose que ce que le traducteur lui fait dire. Au bout d’un an, vous liriez Homère comme vous lisez un air, l’air et l’accompagnement ; l’air, c’est le grec ; l’accompagnement, la traduction. Il serait possible que cela vous donnât l’envie d’étudier sérieusement le grec, et vous auriez d’admirables choses à lire. Mais je vous suppose n’ayant pas de toilettes qui vous occupent ni de gens à qui les montrer. Tout est remarquable dans Homère. Les épithètes, si étranges traduites en français, sont d’une justesse admirable. Je me souviens qu’il appelle la mer pourpre, et jamais je n’avais compris ce mot. L’année dernière, j’étais dans un petit caïque sur le golfe de Lépante, allant à Delphes. Le soleil se couchait. Aussitôt qu’il eut disparu, la mer prit pour dix minutes une teinte violet foncé magnifique. Il faut pour cela l’air, la mer et le soleil de