Page:Méric - Les Bandits tragiques.djvu/93

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


J’ai mis des larmes dans mes yeux,
J’ai mis la faim dans mes entrailles,
Depuis je rôde autour des lieux
Où les conquérants font ripaille.

Depuis je tiens ma froide main,
Que crispe quelquefois la haine ;
Alors je suis celui qu’on craint
Et qu’on flatte comme une reine.

Ma main s’est réchauffée parfois
Aux feux de joie de bien des trônes,
Des grands ont tremblé à ma voix ;
Des rois m’ont demandé l’aumône.

Je suis l’intruse que l’on craint
Voir paraître devant la porte,
Et l’on pleure lorsque j’étreins
L’enfant que le hasard apporte.

Je suis celle qui crie : « J’ai faim ! »
Ce cri troublant qui indispose,
Qui fait pâlir le châtelain
Dans les moments où il repose.

Je suis celle qu’aux soirs d’hivers,
Les mains dans un manchon de glace,
On peut voir s’acheminer vers
Les masures où la mort passe.

Je suis celle qui, dans la nuit,
Tremble sur le seuil des églises,
Et qui s’endort sur le granit,
Sous la froide haleine des bises.

Je vais traînant partout le deuil
Des joies qui me sont inconnues,