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Ça sentait la fin d’un monde, la dégringolade, l’agonie brusquée d’une civilisation, atteinte au cœur.

Trois jours et trois nuits, Paris vécut dans cette orgie de massacres coupés de rixes et de pillages. Les crépitements des fusils et des mitrailleuses, la voix mugissante des canons couvraient le charivari des lamentations et des cris de mort. L’exaspération tournait à la démence. On ne savait ce que l’on voulait ni à qui l’on en voulait. Des paquets d’animaux délirants, habits déchirés, visages brunis de crasse et de sueur, vociférant, hurlant : Ugolin !… Ugolin !… Mort à Templier (c’était le Président du Conseil). Ou encore : « Vive la sociale !… Mort aux affameurs ! » Et l’hymne de l’Internationale vomi par des milliers de poitrines !… Quel spectacle de contagieuse aberration. Je me sentais moi-même entraîné dans cette trombe, perdant pied, m’exténuant, de toute mon énergie râlante, à garder le contrôle de mes nerfs, à résister à la contamination.

Et, soudain, au coin d’une rue, dans une masse grouillante et trépidante, une femme échevelée, hissée sur des épaules, avec des gestes d’hystérique, des flammes rouges dans les yeux. Je la reconnus aussitôt… Je la reconnus à ses yeux. Je m’élançai, perforant la foule, les coudes en avant, tête baissée. Je criai de toute la force de mes poumons :

— Juliette !

Elle fit un bond. Elle fut sur moi, me saisit par les épaules :

— Toi… C’est toi… Il t’a lâché…

— Juliette… Je t’expliquerai… Viens… Suis-moi…

Elle éclata d’un rire sauvage et douloureux, un rire