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inconnu qui s’insinue en vous et qui vous double. À l’heure de l’inspiration, comme disent les poètes, l’homme qui écrit n’est plus le même ; il cède la place à un nouveau venu qui doit être le fruit de tous ses instincts obscurs, de toutes ses aspirations vagissantes. Voyez ce pamphlétaire dont les audaces épouvantent, dont l’écriture fulgure dans un éblouissement d’invectives et de métaphores étourdissantes : c’est un brave type à physionomie d’employé modèle, vêtu d’un complet marron, le menton orné d’une courte barbiche et qui ne pense qu’à aller tremper ses pieds dans la mer. Contemplez ce poète énamouré, sublunaire, abscons à souhait : c’est un comptable méticuleux dans une bonne maison. Pesez cet humoriste prompt au paradoxe, ce fantaisiste échevelé. Quelle mine funèbre de croque-mort arbore-t-il ? Et, maintenant, examinez le grand psychologue, amateur de dessous féminins, videur d’âmes, sensibilité exquise, ah ! qu’exquise ! C’est une brute épaisse qui bat sa femme et entretient l’amant de sa maîtresse. Loi des contrastes ? Eh oui ! il arrive qu’on s’hypnotise sur son papier et qu’on donne des contours précis au mensonge qui vous habite. Le style, c’est l’homme qu’on voudrait être.

Ce que je voudrais être, en cet instant solennel, je le pressens vaguement. L’âge n’a pas encore rongé mes testicules. Mais l’usure viendra. Tout au fond de moi-même naissent des vœux pour la réussite d’Ugolin et il ne me déplairait nullement de jouer les Faust, à condition, ah ! diable ! qu’il n’y ait pas de Méphisto et de « là-bas » redoutable et mystérieux.