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de « tenir » jusqu’à deux heures du matin, au petit bar de la rue de Buci.

Quelques-uns de ceux-là ont conquis une situation. Je ne citerai pas de noms. Mais les autres, les épaves ? Tenez, l’un des plus drôles et des plus populaires, dans ce milieu, en raison de son entrain et de son bagout, était appelé partout : le Bandit. C’était un type extraordinaire. On ne savait pas très bien comment il s’arrangeait, mais il n’était jamais à court de monnaie. Il ne reculait devant aucun expédient. Il était toujours flanqué d’une petite brunette, délurée parigote, qui l’aidait dans ses combinaisons multiples. Le Bandit ! Je ne lui ai jamais connu d’autre état civil. Un beau jour, il disparut de la circulation. On raconta qu’il était allé un peu fort et qu’on l’avait envoyé méditer dans une cellule. D’aucuns le regrettaient, car il régalait volontiers.

Mais la grande industrie de ces hurluberlus s’exerçait sous les galeries de l’Odéon. Les volumes s’étalaient là, qu’on pouvait feuilleter discrètement et, parfois, glisser sous sa pèlerine. Un livre se revendait, sur les quais ou ailleurs, entre douze ou quinze sous, de quoi s’offrir deux sous de frites, une absinthe et du tabac. Le veinard qui avait pu accrocher un volume au passage pouvait dire comme l’empereur romain : Je n’ai pas perdu ma journée.

Seulement, il y avait des coups durs. Les amateurs de littérature étaient sérieusement repérés. Des guetteurs se tenaient dans tous les coins. L’œil était dans la galerie et regardait les bouquins. Il les voyait disparaître sous les manches ou sous les pans d’un