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d’anarchos, les plus courus étaient l’« Habitué », en pleine rue de Buci, et le « Petit Bar », au coin de la même rue de Buci et de la rue Grégoire-de-Tours.

Ce dernier lieu faisait rêver de Villon et de ses mauvais compagnons. Sans prétendre entrer dans des détails, qui risqueraient de heurter les sentiments des lecteurs, il me sera permis de noter que la clientèle bizarre de cet incomparable « Petit bar » se composait d’individus, mâles et femelles, surgis des milieux les plus inattendus. Il y avait là de la moderne truandaille — des gloires de la bande du Bicot de Montparnasse qui descendaient des hauteurs de la Gaieté ; — des réfugiés polonais et croates qui passaient leur temps en querelles ; des rapins chevelus, de doux poètes avec leurs Muses venus l’on ne savait d’où et vivotant on ne savait comment. Parfois, des sociologues, de hardis réformateurs de la société se mêlaient à ces divers groupes et s’efforçaient de les catéchiser. Ces jours-là, l’unique salle du bar retentissait d’éclats de voix et de coups de poing sur les tables boiteuses, cependant que Julot de la rue de Vanves hurlait, dans un coin, qu’il coupait le manillon.

On se retrouvait, chaque jour, à l’heure de l’apéritif, c’est-à-dire vers les cinq heures. Puis, après dîner — quelques-uns d’entre nous dînaient — on venait là passer la nuit devant des tasses de café à dix centimes.

La plus franche cordialité régnait. Les souteneurs inquiets et donnant, par instant, des coups d’œil au dehors, faisaient bon ménage avec les « artisses ».