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que le vieux républicain qu’était mon père se soit insurgé. Dès les premiers jours, quand il vit où tendait la politique de Clemenceau, il se sépara de lui. Et, comme il avait son franc parler, il n’hésita nullement à dire ce qu’il pensait de cet homme qui lui fournissait le spectacle du plus scandaleux reniement.

Il était d’autant plus navré et furieux qu’il songeait que, sans lui, sans l’idée fâcheuse qu’il avait eue de tirer Clemenceau de ses chères études pour en faire un sénateur du Var, rien de semblable n’aurait pu se produire ! Et il se rappelait amèrement les conseils et les avertissements de ses amis :

— Vous allez réchauffer un serpent dans votre sein… Prenez garde ! Il vous mordra, un jour.

À la vérité, sa situation personnelle n’était pas en jeu. Il aurait pu sagement se taire. Clemenceau, sans doute, ne l’aurait point combattu, d’autant qu’il connaissait son immense popularité et son autorité morale dans le département du Var. Mais le dégoût fut plus fort que toutes les suggestions de la prudence. Et, je le répète, mon père était trop profondément républicain pour pouvoir se taire.

À ce propos, qu’on me permette une parenthèse. On a soutenu, à l’époque, que c’était moi-même qui, par mes attaques furieuses contre Clemenceau, avais fait brouiller mon père avec le ministre. Erreur. À ce moment-là, je n’étais pas très bien, très bien avec mon père. Il jugeait assez sévèrement ce qu’il appelait mes écarts. Tout démocrate et libéral qu’il fût, il se refusait à admettre mon anarchisme et mon hervéisme. Il disait bien à ses amis : « Il faut