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envers et contre tous), je l’assurai de son prochain et nouveau triomphe. Alors Bracke se leva et dit, un peu goguenard :

— Leconte de Lisle fut, un jour, candidat à l’Académie et obtint une voix. Le poète se montrait fort marri de cet échec lorsqu’un ami lui apprit que le suffrage recueilli était celui de Victor Hugo. Aussitôt, Leconte de Lisle se dressa radieux, et déclara : « Ça me suffit. J’ai la voix de Victor Hugo : Je suis élu ! »

Et Bracke d’ajouter, avec un sourire narquois :

— Moi aussi, ça me suffit. J’ai la voix de Méric. Je suis élu.

C’était charmant. Mais je n’avais de commun avec Hugo que mon prénom. Et puis, la suite fut moins drôle, car Bracke ne voulut même pas poser sa candidature. Son intransigeance de doctrinaire lui interdisait de s’allier aux « partis bourgeois ».

Ceux qui ont entendu Bracke dans les réunions publiques conviennent qu’il n’est pas tout à fait l’orateur. Cela tient à ce qu’il demeure professeur et qu’il veut trop s’expliquer. Il a, cependant, prononcé à la Chambre, sur la question des humanités, un discours absolument remarquable.

Mais ce qui est certain, c’est que Bracke est un causeur merveilleux. À une table, devant quelques demis bien tirés, il est inouï. Puits d’érudition, il ramène du fond de sa mémoire des seaux d’anecdotes, de faits, de citations… On ne se lasse point de l’écouter. Lorsqu’il arrivait à la Chope, vers les minuit, les conversations devenaient moins bruyantes.