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Stirner, Nietzsche. Mais la digestion était plutôt laborieuse.

Durant des heures, les deux bougres se donnaient la réplique. Il était question tantôt de la théorie de la valeur, d’autres fois du monde en tant qu’apparence ou de l’impératif catégorique. Quelle salade ! Ils se jetaient des textes et des noms à la figure. Bakounine, Herzen, Kropotkine, Marx, Lassalle entraient dans la danse et faisaient vis-à-vis à Fichte, à Spinosa, et Schelling… Sur le terrain de la sociologie, Édouard manœuvrait à son aise. Dans les marécages métaphysiques, l’autre prenait sa revanche.

C’était parfois assez fastidieux. Mais Édouard savait varier les plaisirs. Il se piquait, par exemple, de psychologie et prétendait, selon sa propre expression, sonder les individus. Octave Mirbeau déclarait un jour que rien qu’à voir le bas d’un pantalon, il reconstituait la psychologie d’un passant. Édouard allait plus loin. Un mot, un geste, un regard et il argumentait, pesait son homme, lisait en lui, faisait jouer ses ressorts secrets, divulguait son avenir. Je l’entends encore !

— Un tel (il l’avait à peine entrevu), c’est un sentimental. Il trahira, un jour, par faiblesse.

— Celui-là, c’est un féroce. Sa douceur n’est qu’apparente. Au jour de la Révolution, il sera terrible.

Édouard annonçait Freud.

Mais le plus souvent, ces exercices de psychologie aboutissaient à des ragots de vieille pipelette.

Édouard n’était pas seulement une célébrité dans notre domaine de Buci. Il était connu partout.