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et de la sortie des théâtres. Nous étions là, assis devant une table boiteuse, absorbant des petits verres d’alcool pour nous donner du mordant. Le camarade allemand parlementait avec un batelier qui louchait, de temps en temps, vers moi, hochait la tête sans que je pusse discerner s’il approuvait ou non son interlocuteur.

Enfin l’homme poussa la porte, passa au dehors. Le camarade allemand, tout souriant, expliqua l’affaire à R… qui me dit :

— Ça y est… Il marche.

Nous attendîmes un long instant encore. Le chauffeur vidait silencieusement ses petits verres. Et ça commençait vraiment à me paraître monotone. Imaginez une salle basse, au plafond enfumé, quelques tables et quelques chaises, une rouge commère au comptoir poisseux. Dehors, le silence, inquiétant, trop solennel. Je songeais à Paris, aux boulevards… je me voyais, hélant un taxi :

— Hep !…. Place Denfert !…

Malheur ! nous nous trouvions dans un infâme petit cabaret de village, rongés par l’anxiété.

La porte s’ouvrit soudain et le batelier apparut. Il fit un signe. Nous nous précipitâmes sur la route.

Le ciel était chargé d’épais nuages par où filtrait timidement un peu de lune glauque. La nuit était tiède et des grillons chantaient. Décor romantique. Nous commencions le premier chapitre du feuilleton.

Le batelier prit la tête, pendant que le chauffeur remontait sur sa bagnole en compagnie de R… et s’engageait sur le pont, en aval. La voiture devait nous reprendre sur l’autre rive, en terre luxembourgeoise. En attendant, il nous fallait, le camarade allemand et moi, enjamber un mur derrière notre guide, et nous orienter, tant bien que mal, sur la berge inclinée qui filait vers le