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Tu peux saigner ce bœuf avec sérénité.

Le bœuf, naturellement, c’était le locataire de l’Élysée.

Tous ces jeux devaient mal tourner pour le poète. Un matin, vers les six heures, il nous déclara :

— Je suis éreinté.

On le mit dans un taxi. On donna son adresse au chauffeur. Puis je rentrai chez moi, rue Guenégaud, en face l’hôtel de la Monnaie, dans une chambre dix-septième siècle, aux fenêtres immenses surplombant une cour profonde et étroite comme un puits. Je m’endormis d’un sommeil de brute. Je dormis jusqu’à trois heures de l’après-midi.

Dans la soirée, je me rendis au journal. Comme j’arrivais, quelqu’un me dit :

— Tu ne sais pas la nouvelle ?

— Quelle nouvelle ?

— Gaston Couté est à l’hôpital.

Pauvre Couté, cher compagnon, vieil ami ! Nous avions bavardé toute la nuit. Tu m’avais confié tes rancœurs de révolté, de « réfractaire » impénitent. Tu repoussais le collier vers lequel aspirent tant de bêtes domestiquées. Tu vivais en marge, farouchement libre, économisant tes amitiés, ne te donnant qu’en toute connaissance de cause, fermé à quiconque ne vibrait pas avec toi. Cela se paye. Tu buvais. Nous buvions tous. On boit bêtement, parce qu’on n’a pas autre chose à faire et que cela vous réchauffe l’esprit. Et parce qu’on oublie, à plusieurs. Mais la bohème est terrible. On la nargue. Elle se venge.

C’est ainsi que les choses se passent. On quitte un ami,