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duite. Dès l’instant qu’il entra dans le parti — unifié par ses soins — il fit taire ses aspirations personnelles et mit un frein à son esprit critique pour se conformer pleinement aux directives des congrès internationaux.

Cela ne l’empêchait nullement de batailler par la plume et par la parole et d’essayer de faire prévaloir ses conceptions. De là les contradictions dont je parle plus haut. De là la possibilité de fouiller dans son œuvre pour en extraire l’argument utile, la déclaration qu’on épingle pour confondre l’adversaire. On oublie que Jaurès a beaucoup parlé, beaucoup écrit, beaucoup agi et traversé bien des événements qui devaient fatalement modifier sa pensée constante.

Il y a eu le Jaurès des débuts, néophyte du socialisme. Il y a eu le Jaurès de l’Affaire Dreyfus, qui aboutit au Jaurès vice-président de la Chambre, soutien du ministère Combes, partisan du Bloc des Gauches. Il y a eu le Jaurès du Congrès d’Amsterdam, se pliant sous la discipline. Il y a eu, enfin, le Jaurès ennemi de la guerre, le Jaurès pacifiste, celui qu’on a assassiné.

Tous ces Jaurès confondus n’en font qu’un : l’homme du progrès, l’homme de l’idée, le Défenseur du prolétariat, l’Apôtre. Et par-dessus tout, le Tribun. Il était l’homme de la foule ! Il lui fallait les vastes salles houleuses, où se pressent les multitudes enthousiastes. C’était là que son génie prenait son libre essor. Ceux qui ne l’ont pas entendu sont bien à plaindre. Ils n’entendront jamais rien de semblable. Ils ne sentiront jamais ce que c’est que l’Éloquence — mieux le Verbe fait Homme !

Je tenterais vainement de donner la vie à ce Jaurès dont la silhouette massive et robuste appartient déjà au passé. Des mots figés sur la feuille de papier ne peuvent nous restituer le formidable athlète du forum. Je vais demander la permission de me citer et d’emprunter à mon