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Marcel Sembat
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Et ce fut, alors le plus douloureux des calvaires. Battus, injuriés, maltraités par les sous-officiers et les soldats ; méprisés par les officiers, ces malheureux connurent toutes les humiliations et tous les sévices. On leur reprochait violemment de « s’être engagés pour bouffer la gamelle ». Je ne puis reproduire ici les invectives et les ordures dont ils furent l’objet. « Jamais, me dit Timauxian, il n’avait entendu pareilles expressions. » Je note que parmi ces « bouffeurs de gamelle » il y avait, outre l’ingénieur arménien, quasi-millionnaire, le gendre du général russe Davidov ; l’étudiant en droit Pallo, etc… Rien ne leur fut épargné. Corvées, punitions, missions aussi dangereuses qu’inutiles. « On les faisait tuer » systématiquement. Cela dura des mois. Cela dura jusqu’au jour où, cantonnés à Pévy, ils réclamèrent bruyamment des officiers français et refusèrent d’aller se battre sous les ordres des brutes galonnées qui n’étaient, pour eux, que d’infâmes bourreaux.

Mais, quelques jours avant leur arrivée dans le petit village de Pévy, il s’était produit quelques incidents. Le commandant avait interdit formellement aux soldat d’acheter du vin. Il faut avouer qu’il avait quelques bonnes raisons pour cela. Jamais l’on n’a tant bu, l’on ne s’est tant saoulé qu’au front, dans les jours de repos. Le dieu Pinard avait toutes les armées pour fidèles. Il en résultait des bagarres, des actes de sauvagerie ou d’indiscipline qui menaient loin. Eh ! oui ! les héros étaient « comme cela », pas autrement. La « gnolle », et le pinard ont régné plus de quatre années « de la mer à Belfort », comme on disait alors.

Mais les poilus considéraient cette interdiction comme inopérante. Ils n’en continuaient pas moins de boire, et ils étaient bien excusables, et la plupart du temps on fermait volontiers les yeux sur leurs excès. S’ils absor-