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coulisses et tréteaux

Une des dernières fois que je retrouvai Sembat, ce fut — sombre époque — pendant la guerre. Je jouissais, pour six journées rapides, de ma première permission. Il y avait exactement quatorze mois que j’étais parti pour tenir l’emploi de héros malgré lui — un héros au long bec — et je revenais des environs de Berry-au-Bac. Mais, rassurez-vous, je ne vais pas vous raconter la guerre. J’ai bien, dans le temps, écrit comme tout le monde, un roman sur la « chose », un roman tout saignant et plein de boue. Je l’ai jeté aux vieux papiers, tant mon dégoût de la guerre est insurmontable.

Sembat, à ce moment-là, n’était plus tout à fait Sembat. Il était ministre de l’Union sacrée, Roi du charbon. Que cette erreur lui soit légère. Je la considérais alors comme un véritable crime, et, certes, je me serais décidé difficilement à lui réclamer une audience pour lui raconter certaines horreurs qu’il m’était absolument impossible de digérer.

Ces horreurs, auxquelles aujourd’hui encore je ne puis songer sans frémir, c’était l’assassinat de quelques pauvres diables de la Légion étrangère. Justement dans son volume Les Crimes des Conseils de guerre, l’ami Réau[1] leur a consacré un chapitre. Mais Réau eut été bien inspiré en consultant le Journal du Peuple et l’Humanité où, à plusieurs reprises, je suis revenu sur ces faits abominables, avec tous les détails utiles.

Ma permission tirait à sa fin, lorsque à la buvette de la Chambre, je rencontrai Jean Longuet. C’était en 1915 : quatorze mois, je le répète, avaient coulé. Longuet m’in-

  1. Réau, membre du parti socialiste, rédacteur à La Volonté, est mort depuis que ces pages ont été écrites.