CHAPITRE XXII
Après le jugement de Moreau, nous retournâmes à Brest, d’où nous revînmes bientôt à Paris, le maréchal devant assister, le 14 juillet, à la distribution des décorations de la Légion d’honneur, ordre que l’Empereur avait nouvellement institué pour récompenser tous les genres de mérite. Je dois à ce sujet rappeler une anecdote qui fit grand bruit à cette époque. Pour faire participer aux décorations tous les militaires qui s’étaient distingués dans les armées de la République, l’Empereur se fit rendre compte des hauts faits de ceux qui avaient reçu des armes d’honneur, et il désigna un grand nombre d’entre eux pour la Légion d’honneur, bien que plusieurs de ceux-ci fussent rentrés dans la vie civile. M. de Narbonne, émigré rentré, vivait alors paisiblement à Paris, rue de Miromesnil, dans la maison voisine de celle qu’habitait ma mère. Or, le jour de la distribution des croix, M. de Narbonne, apprenant que son valet de pied, ancien soldat d’Égypte, venait d’être décoré, le fait venir, au moment de se mettre à table, et lui dit : « Il n’est pas convenable qu’un chevalier de la Légion d’honneur donne des assiettes ; il l’est encore moins qu’il quitte sa décoration pour faire son service ; asseyez-vous donc auprès de moi, nous allons dîner