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SUR LA CRIMÉE

des gaz qui amenaient à la surface un peu de boue, et cette boue se déversait en petites traînées sur la pente ; sur la partie inclinée de ce cône, et à une hauteur moindre, s’était faite, il y a quelques années sans doute, une grande éruption qui avait produit une large coulée de boue de plus de 200 mètres de longueur. La surface de cette coulée était très unie et entièrement privée de végétation. On voyait donc là plusieurs des phénomènes qui caractérisent les volcans de lave et de scories : forme conique, doubles pentes se séparant nettement, éruption latérale sur les flancs du cône, dégagement de gaz, état d’activité permanente et modérée, troublé par intervalles par des crises violentes.

Près de la deuxième station de poste, à 36 verstes (10 lieues) de Taman, sur les bords de la mer d’Azof, nous visitâmes encore une autre colline moins régulièrement conique, mais bien plus considérable que celle dont je viens de parler, et qu’on nomme, je crois, colline de Titarofka. À moitié de sa hauteur s’étendait un grand espace horizontal occupé par des puits très nombreux dans lesquels on recueille du pétrole ou bitume liquide ; cette substance est très abondante : il suffit de creuser un trou de 3 pieds carrés et de 10 à 12 pieds de profondeur pour arriver aux sources bitumineuses ; le pétrole s’amasse au fond de ces puits, et de temps en temps on vient le recueillir avec des seaux attachés au bout d’une corde ; il est très liquide, d’une belle couleur, et s’emploie à l’éclairage comme aussi à la conservation des petits bateaux du pays et de leurs gréements. La boue dans laquelle sont creusés les puits est imprégnée de cristaux de gypse[1]. En quittant ce plateau si riche en bitume, on arrive par des pentes souvent privées de végétation au sommet de la colline ; là existent deux petits cônes de 3 ou 4 pieds de hauteur percés d’un trou d’où s’échappe une eau bourbeuse et où nous crûmes éprouver une chaleur sensible à la main.

La pointe de la presqu’île de Taman, qui resserre l’entrée de la mer d’Azof, est occupée aussi par un volcan qu’on nomme volcan d’Obou ou de Prekla qui s’élève au milieu de plaines presqu’au niveau de la mer, jusqu’à la hauteur de 250 pieds environ, et dont la forme conique est très régulière ; sa plus forte éruption fut celle qui eut lieu en 1794, et q11i donna occasion à Pallas de faire les observations suivantes : grand bruit semblable à un craquement au commencement de l’éruption ; épaisse colonne de fumée noire mêlée de flammes, jets de matière visqueuse et de pierres jusqu’à plus de 1000 mètres du cratère, éruption d’une énorme quantité de boue qui couvrit inégalement tous les flancs du cône,

  1. C’est le seul endroit où nous ayons vu des exploitations de pétrole en activité ; les autres sources que l’on voit ou dont on peut soupçonner l’existence dans une grande partie de la presqu’île restent partout sans être utilisées. M. le baron de Meyendorf, attaché au service de Russie, dont la haute intelligence comprend toute la portée de la géologie moderne, et qui cherche à faire participer sa patrie aux découvertes de cette science, pense que les produits de l’île de Taman pourraient peut-être, comme l’asphalte de Seyssel, être employés au pavage et au dallage des grandes villes.