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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

paient presque exclusivement. Telle était, en apparence, leur situation lorsqu’ils arrivèrent à Paris dans l’été de 1847. Ils allèrent aux bains de mer d’Ostende et, de là, à Mons, dans la famille Mortier.

Un jour du mois de décembre, on me dit qu’une dame très voilée demandait à me voir en particulier. Je fus fort étonnée de reconnaître madame Mortier. Je la trouvai d’un affreux changement.

« Que vous est-il donc arrivé, ma chère enfant ?

— Madame, je veux vous remercier de toutes vos bontés passées avant de prendre congé de vous.

— Congé, et où allez-vous ?

— Je reste à Paris.

— Et où est Hector ?

— À Mons, je crois.

— Mais qu’est-il donc advenu ?

— Monsieur Mortier m’a chassée de chez lui, et séparée de mes enfants ; je suis réfugiée chez mon père.

— Voyons donc, ma pauvre enfant, expliquez-moi tout cela. »

Ses larmes l’empêchèrent longtemps de parler. Je crus alors à quelque jalousie, plus ou moins fondée, de la part d’un homme de cinquante ans vis-à-vis d’une superbe jeune femme de vingt-cinq ans, et j’en fis la question. Elle m’assura qu’il n’y avait rien de semblable.

Sans aucun motif, son mari l’avait poursuivie un rasoir à la main, et sa belle-mère l’avait fait évader de la maison pour éviter un crime. Tous les détails de cette scène, précédée de beaucoup d’autres, me parurent incompréhensibles. Jusque-là, madame Mortier avait toujours soigneusement celé à tout le monde les orages de son intérieur.

Elle me demanda si elle pouvait aller faire auprès de madame Adélaïde (qui protégeait spécialement monsieur