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MORT DE MADAME ADÉLAÏDE

que lui imposaient les nombreux procès politiques dont il s’est tiré avec tant de talent et de bonheur.

Il est impossible de trouver un commerce plus facile et plus charmant que celui de monsieur Pasquier. À un esprit toujours inventif, à une conversation des plus variées, il joignait un incomparable bon sens et une bienveillance naturelle qui, sans être jamais banale, lui faisait constamment tirer le meilleur parti possible des hommes et des choses.

Il s’intéressait à tout, depuis les idées les plus élevées de l’homme d’État jusqu’aux détails les plus intimes de la vie privée. Rien n’était au-dessus ni au-dessous de lui, et l’occupation où il était de ses amis se manifestait pour les plus petites comme pour les plus grandes choses.

Lorsqu’il m’avait raconté quelque secret politique bien important, je n’éprouvais aucun embarras à l’entretenir de la moindre niaiserie de son ménage, et il y prenait part avec autant de bonhomie que de sérieux.

Une seule chose l’irritait, c’était la déraison. Il avait alors des colères dignes d’Alceste. Je me rappelle une scène qu’il me fit un jour. La tirade commençait par : « Vous vous croyez très impartiale, et personne ne l’est moins », puis suivaient mes préjugés de caste, mon esprit de parti, mes intolérances sociales, etc.

Il y avait pas mal d’exagérations dans ces reproches, mais il y avait bien aussi un peu de vérité, et j’en faisais mon profit. Il était très honteux lorsqu’il s’était laissé aller à ces boutades. Elles n’étaient pourtant pas sans charme pour ses amis, car il y montrait le fond de sa belle âme, par ses haines vigoureuses pour le mal.

L’esprit de parti surtout était sa bête noire, et il est bien remarquable qu’ayant toute sa vie frayé à travers les partis il n’en ait jamais été atteint.