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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

vant, le palais des Tuileries reprit une partie de ses habitudes extérieures.

Toutefois, la Reine resta dans un grand désintéressement de cœur. Je crois avoir déjà dit qu’après les premiers moments qui suivirent la mort de monsieur le duc d’Orléans je ne lui retrouvai plus le même abandon de causerie avec moi.

Elle continuait à m’admettre à toutes les heures où je me présentais chez elle ; mais je sentais à chaque fois qu’il me fallait briser la glace pour arriver à un peu d’intimité, et, si je n’avais eu la conscience du parfait désintéressement de mon attachement pour elle, je m’en serais certainement trouvée blessée.

Je comprenais, au reste, qu’elle redoutait ses propres épanchements bien plus qu’aucune indiscrétion de ma part. Elle se rappelait toutes les larmes qu’elle avait répandues dans mes bras, craignait de raviver une douleur toujours saignante et d’aborder un sujet toujours présent.

Jamais plus le nom de monsieur le duc d’Orléans, ni aucune allusion à la catastrophe n’ont été prononcés entre nous.

Pour madame Adélaïde, c’était autre chose. Elle avait renoncé à recevoir dans le cabinet où elle s’occupait naguère et où ses relations intimes étaient admises.

Elle se tenait dans le salon qui le précédait, son chapeau sur sa tête, son châle et ses gants près d’elle, toujours prête à entrer dans le cabinet où le Roi pouvait arriver par les derrières, ou à se rendre chez lui au premier signal, soit pour demeurer près de lui dans ses appartements, soit pour sortir en voiture, soit pour l’accompagner dans ses promenades sur la terrasse du premier ou dans les galeries du Louvre, lorsqu’il était fatigué du travail et sentait le besoin d’air.