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MORT DU DUC D’ORLÉANS

Bien des mois se sont écoulés depuis ces paroles, et la Reine n’a point fait le moindre progrès. L’anxiété même, produite par les dangers où s’exposent ses autres enfants, glisse sur sa douleur et ne détourne pas le poids du souvenir sous lequel elle est écrasée. Mais il faut être avant dans sa confidence, aussi bien que façonnée à la deviner, pour s’en apercevoir.

Je n’ai pas encore eu l’honneur d’approcher madame la duchesse d’Orléans qui vit dans la plus profonde retraite. Elle ne voit que sa royale famille. On lui rend des soins empressés. La grande-duchesse douairière, de Mecklembourg ne la quitte pas.

On me dit sa santé améliorée, ce qui s’explique par la vie régulière que les circonstances lui imposent, tandis que le désir d’accompagner son époux et de lui plaire la faisait souvent manquer au régime conseillé par les médecins.

Exclusivement occupée de ses enfants qu’elle ne supporte pas un instant éloignés, elle trouve en eux sa seule consolation, et peut-être y prévoit par instinct son importance à venir. Sa douleur est intense, mais fière et courageuse ; elle perd tout, le sait et l’apprécie.

Monsieur le duc d’Orléans était le plus tendre des époux. L’amour, l’estime, les convenances réciproques unissaient ce ménage qui s’entendait de tous points. Je crois, de plus, et je suis loin de lui en faire un tort, que madame la duchesse d’Orléans prisait fort le haut rang où elle était appelée. On s’apercevait facilement qu’en tout lieu elle voulait être reconnue la seconde dame de France, en attendant qu’elle en devînt la première.

La perte de cette situation lui doit être sensible. Il faut admettre aussi qu’elle ne peut se sentir suffisamment identifiée à la famille royale, si intimement unie entre elle, pour ne point éprouver un grand sentiment d’isole-