Page:Mémoires de la comtesse de Boigne Tome V 1923.djvu/45

Cette page a été validée par deux contributeurs.
42
MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

a-t-il paru seul digne d’une si chère victime ? ou bien quelque révélation intime a-t-elle annoncé à cette âme sincèrement pieuse, éminemment chrétienne, que les fautes étaient pardonnées, ainsi qu’elle l’avait si ardemment, si passionnément demandé au moment où le prince exhalait son dernier soupir ?

Cela reste un secret entre la Reine et Dieu ; mais j’incline pour la dernière version.

La pensée que son malheureux fils n’avait pas obtenu un moment pour se réconcilier avec Dieu causait, j’en suis persuadée, l’irritation fébrile où elle était en proie. Je le crois davantage, en me rappelant les puissantes consolations que je lui ai vu puiser dans la fin si dévotement catholique de la princesse Marie. Sans doute, la perte n’était pas semblable, ni la douleur comparable ; mais enfin c’était aussi un enfant bien chéri.

Je revis la Reine à son retour d’Eu. Elle était mieux. Sa figure avait repris son expression naturelle de bienveillance ; elle avait perdu cette rigidité factice de traits et de maintien, remarquée à notre dernière entrevue.

Elle pleura beaucoup, me parlant librement de Chartres, de l’amour qu’elle lui portait, de la fierté qu’elle en tirait, de la confiance avec laquelle elle prévoyait le sort de sa famille et de la France entre ses mains.

Ses larmes coulaient avec amertume, mais sans irritation… « Enfin, disait-elle, après avoir exprimé chaque motif de ses justes regrets, enfin, ma chère, Dieu l’a voulu… »

Malgré ces expressions de résignation pieuse, la pauvre Reine est atteinte au cœur à ne s’en point relever. Elle m’a dit : « Il y a un moi intime qui est tué pour toujours ; l’autre moi cherchera à remplir les devoirs de sa situation jusqu’à la fin, et c’est celui-là seul qu’on verra à l’extérieur. »