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MORT DU DUC D’ORLÉANS

La Reine retombait sans cesse dans des locutions qui continuaient l’existence de monsieur le duc d’Orléans. Aussi me disait-elle que ces derniers événements lui apparaissaient comme un épouvantable cauchemar dont elle se devait réveiller :

« Je sais tout, j’ai tout vu, ah oui, mon Dieu, reprenait-elle en frissonnant, j’ai tout vu, et elle joignait les mains, et elle fermait les yeux comme pour revoir encore intérieurement ce lugubre spectacle, j’ai tout vu, et je ne puis y croire ! »

Elle me fit de nouveau le récit de la fatale matinée, appuyant derechef sur les cruelles paroles de la veille : « Chère majesté, je viendrai, puisque vous le voulez », les dernières que lui eût adressées cette voix si chérie.

Mais, du moins, cette fois, ses larmes coulaient en abondance, et semblaient la soulager. Elle me parla un peu du Roi, beaucoup de madame la duchesse d’Orléans, mais seulement dans leurs rapports avec monsieur le duc d’Orléans.

Le nom de Chartres se trouvait constamment sur ses lèvres ; et rien ne lui arrivait qu’à travers cette mémoire qui absorbait toutes ses pensées.

Je restai longtemps avec la Reine et passai ensuite chez madame Adélaïde. Elle me confirma ce qui m’avait paru. La Reine avait moins d’excitation et plus d’accablement. D’après les vives instances du Roi, elle s’était soumise à voir le docteur Fouquier. Il lui avait trouvé de la fièvre, et elle promettait de se soumettre à ses ordonnances.

Madame me témoigna un grand désir de quitter Neuilly. On avait eu la pensée de s’établir à Saint-Cloud, mais l’espoir de pouvoir aller au château d’Eu très promptement y avait fait renoncer, d’autant que la répugnance de la Reine à quitter le lieu sanctifié par ses