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MORT DU DUC D’ORLÉANS

et surtout de leur mère, prétendaient accompagner le corps à pied de Neuilly à Notre-Dame. La pauvre reine n’admettait pas que les forces humaines pussent défaillir aux manifestations d’une immense douleur.

Mais les ministres s’opposèrent formellement à cette volonté de famille. Hélas ! aux temps où nous vivons, il eût été peut-être imprudent d’exposer ces quatre jeunes hommes, si longuement et si obstinément, aux coups des partis. J’aime à croire que leur pieux désespoir les aurait protégés, même contre les scélérats les plus fanatiques.

Mais, indépendamment de ce danger politique, cette pénible course, par un soleil de juillet de l’été le plus chaud dont je conserve souvenance, aurait été accablante, surtout pour monsieur le duc de Nemours dans l’état où le chagrin l’avait réduit. On monta donc en voiture en atteignant la grande route.

Paris vit, avec un douloureux étonnement, rapporter dans ses murs le corps de ce brillant prince qui, dix-huit jours avant, en était sorti plein de vie et d’espérances.

La catastrophe n’était ignorée de personne ; elle faisait le fond des discours de chacun, et pourtant on avait peine à se persuader de sa réalité. Le silence respectueux et consterné de la foule était fort imposant, m’a-t-on dit. Les flots du peuple s’ouvraient d’eux-mêmes pour laisser passer le cortège.

Deux cents prêtres, le cierge en main, psalmodiaient les prières des morts. Ce spectacle, absolument nouveau pour la génération actuelle, car cela ne s’était vu ni aux obsèques de monsieur le duc de Berry, ni à celles du roi Louis XVIII, fut accueilli avec respect par le deuil général qui remplissait tous les cœurs et s’associait à ces religieuses manifestations.

Les premiers artistes de Paris s’étaient spontanément