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CORRESPONDANCE

l’histoire des 15, 16, 17 et 18 mai ; il ne comprend pas plus que nous ce changement inexplicable et ce n’est pas là ce qu’on a cherché à lui expliquer. Le bon oncle, cependant, soupçonne bien le même motif que nous, il me demandait de ne pas nous brouiller ; je lui ai dit que nous ne l’étions pas et que nous serions même fort bien ensemble si nous n’avions jamais été mieux. — Je suis triste, tourmentée, sans nouvelle de vous, c’est tout dire. Je ne sais pourquoi je vous parle de moi, car, assurément, je n’ai rien de bon à vous dire : l’obligation où je me trouve d’avoir l’air contente et presque reconnaissante d’être ici achève de me désespérer. Personne ne comprend comment je vous aime ; cela me choque « Eh ! bien, ma chère amie, il faut bien suivre son mari ! » Hélas ! je le sais bien ; ce n’est pas là ce que je vous demandais. Je crois que je n’ai jamais été si dégoûtée de ma personne qu’ici ; l’adulation la plus fastidieuse me poursuit ; je n’ai pas un moment à moi : enfin je suis obligée de vous écrire de mon lit pour me soustraire à cette persécution et, quoiqu’il ne soit que dix heures, monsieur de B. a reçu trois visites : c’est désolant. Au surplus, je suis malade comme une bête ; l’humeur rentrée en est, je crois, la cause. Peut-être suis-je injuste ; mais à… Là, voilà un monsieur, je ne sais qui, qui a traversé mon salon et qui est entré sans plus de façon dans ma chambre à coucher, c’est par trop familier aussi. — On prétend que j’ai beaucoup de succès ici : c’est toujours tant mieux. Mademoiselle de M. dit que le désir que je témoigne de retourner en Angleterre est désobligeant pour mon mari ; il l’était bien plus vraiment de m’emmener malgré moi. — Adieu, mes excellents amis ; aimez-moi malgré ma maussaderie : je serais crevée sans cette petite évacuation de bile.