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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

en hochant sa tête : « Vous vous trompez tout à fait, ma chère, sur ma situation et sur ce qui est en mon pouvoir. Je ne suis point, je n’ai jamais été, je ne serai jamais chef de famille. Je n’ai jamais été que la femme du Roi, et, maintenant qu’il n’est plus, je ne suis rien. »

Je cherchai à la remonter dans sa propre appréciation.

« Non, répéta-t-elle, vous vous trompez. Mes enfants m’aiment beaucoup. Ils ne feraient pas volontiers une action qu’ils sauraient m’affliger ; mais, ne vous faites pas illusion, je n’ai aucune espèce d’autorité sur leur esprit, ni sur leurs opinions.

« Tant qu’il plaira à Dieu de me laisser sur la terre, je resterai la fidèle gardienne des cendres du Roi, et je tâcherai de remplir le seul soin qu’il m’ait positivement confié, celui de maintenir, autant que possible, l’unité dans la famille d’Orléans, de fait et d’apparence.

C’est un des motifs qui m’a conduite ici ; je ne saurais être bonne à autre chose. Quant à l’alliance dont vous me parlez, il ne peut en être sérieusement question, puisque Hélène tient, en dehors de nous et des idées que vous désirez nous voir concevoir, les gages les plus importants que nous aurions à donner. À quoi servirait une réconciliation avec mes fils tandis qu’un parti serait fomenté pour leurs neveux ?

« Voyez-vous, ma chère, tout cela est inextricable et ne date pas du 24 février 1848, mais bien du 13 juillet 1842. »

Elle se mit alors à me parler, avec sa confiance d’autrefois, de monsieur le duc d’Orléans et des malheurs entraînés par sa perte.

Je vis, je l’avais déjà remarqué depuis deux jours, que c’était là la plaie béante. Toutes les nouvelles calamités y étaient entrées, mais sans la combler, et n’y avaient apporté aucun changement.