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CHUTE DE LA MONARCHIE D’ORLÉANS

la campagne, et nous pûmes nous établir tous les deux assez commodément.

Nous avons passé ainsi huit mois dans cette bonne ville de Tours, évitant l’effrayante tentative du 15 mai et les journées bien plus cruelles encore du mois de juin où les habitants de Paris se sont trouvés pendant quatre- vingt-seize heures acteurs et spectateurs de la plus sanglante bataille livrée dans aucune ville.

Nous y prenions grande part assurément ; toutefois nos inquiétudes ne pouvaient être comparables à celles ressenties dans la capitale.

Nous vîmes fonctionner le suffrage universel pour la première fois. On s’attendait à des difficultés matérielles presque insurmontables ; il ne s’en présenta aucune.

Les [habitants des] paroisses de la ville et des communes environnantes se présentaient processionnellement, leur maire et leur curé en tête. À mesure qu’ils approchaient de la préfecture, des agents préposés à cette besogne leur distribuaient à profusion les bulletins des candidats républicains.

Les électeurs les recevaient silencieusement, les mettaient dans leur poche gauche, puis, parvenus au lieu du scrutin, ils tiraient de leur poche droite les bulletins des candidats de l’ordre ; l’urne les recevait, tandis que monsieur le préfet pouvait voir sa cour jonchée des bulletins distribués par ses ordres.

Leur but accompli, ces braves gens s’en retournaient chez eux, sans laisser de traînards et sans rentrer dans un cabaret, fort contents d’eux-mêmes et nous en laissant encore plus satisfaits.

Le vent qui prévalait à Tours doit avoir soufflé dans bien d’autres lieux, car la Chambre de 1848 se montra infiniment plus conservatrice qu’on ne pouvait l’espérer.

Le seul mot de république, on doit le reconnaître,