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SCÈNE À HARTWELL

cer toutes les vertus, ornées de toutes les grâces qui peuvent les décorer.

Madame la duchesse d’Orléans n’était pas jolie ; elle était même laide, grande, maigre, le teint rouge, les yeux petits, les dents mal rangées ; mais elle avait le col long, la tête bien placée, très grand air. Elle supportait bien la parure, avait bonne grâce avec beaucoup de dignité ; et puis, de ses petits yeux, sortait un regard, émanation de cette âme si pure, si grande, si noble, un regard si varié, si nuancé, si bon, si encourageant, si excitant, si reconnaissant que, pour moi, j’en trouverais tout sacrifice suffisamment payé. Je suis persuadée que madame la duchesse d’Orléans doit une partie de la fascination qu’elle exerce sur les gens les plus hostiles à l’influence de ce regard.

Elle fut bien accueillie à la Cour des Tuileries, monsieur le duc d’Orléans médiocrement, Mademoiselle très froidement. Il n’y avait jamais eu aucun rapprochement avec elle, même par lettre je crois ; et madame la duchesse d’Angoulême ne pouvait dissimuler la répugnance qu’elle éprouvait pour le frère et la sœur.

J’ai entendu raconter à mon oncle Édouard Dillon qu’il se trouvait à Hartwell lors de la première visite que monsieur le duc d’Orléans y fit. Elle avait été longuement négociée et Madame avait eu peine à y consentir. Il arriva de meilleure heure qu’on ne l’attendait, un dimanche comme on sortait de la messe. Madame le rencontra en traversant le vestibule ; elle était suivie de tout ce qui habitait le château. En apercevant le prince, elle devint extrêmement pâle, ses jambes fléchirent, la parole expira sur ses lèvres ; il s’avança pour la soutenir, elle le repoussa. Il fallut l’asseoir ; elle se trouva presque mal ; on s’empressa autour d’elle et on la conduisit dans ses appartements.