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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

stacle, pourvu que le colonel Fitz-Gerald consentît à l’accompagner. Cette habitude était prise depuis nombre d’années, mais lady Kingston avait oublié de remarquer que l’enfant était devenue une fille charmante et que le protecteur n’avait pas trente ans…

Quand on aura compulsé tous les portraits de héros de roman pour en extraire l’idéal de la perfection, on sera encore au-dessous de ce qu’il y aurait à dire du colonel Fitz-Gerald. Sa belle figure, sa noble tournure, sa physionomie si douce et si expressive n’étaient que l’annonce de tout ce que son âme contenait de qualités admirables. Il était colonel dans les gardes, adoré des subalternes aussi bien que de ses camarades.

Mary venait souvent passer de longues matinées et même des soirées avec moi. C’était presque toujours Fitz-Gerald qui lui servait de chaperon ; sa mère était dans le monde, ses sœurs avec les gouvernantes. Le colonel avait la bonté de l’amener et de venir la rechercher, bien souvent en carriole. Dès que nous étions seules, elle avait toujours quelque nouveau trait à me raconter sur les vertus du colonel ; elle ne me parlait que de lui. J’étais trop jeune et trop innocente pour le remarquer. Je trouvais très simple qu’elle vantât en Fitz-Gerald des qualités qui paraissaient, en effet, admirables. J’aimais beaucoup lady Mary. J’étais flattée qu’elle préférât notre petite retraite de Brompton-Row à tout ce que Londres présentait de plus brillant où sa position l’appelait. Les plaintes, moitié sérieuses, moitié en plaisanteries, qu’en portait lady Kingston augmentaient ma reconnaissance et ma tendresse pour Mary.

Le colonel, sans être musicien, avait une très belle voix. Nous le faisions chanter avec nous, et c’étaient des joies et des rires lorsqu’il manquait un dièse ou estropiait une syllabe italienne ; il jurait alors qu’il nous for-