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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

parfaitement gracieux et aimable, ses manières étaient si nobles que sa figure s’oubliait bien vite. Monsieur le duc d’Orléans, avec une figure assez belle, n’avait aucune distinction, ni dans la tournure, ni dans les manières. Il ne paraissait jamais complètement à son aise. Sa conversation, déjà fort intéressante, avait un peu de pédanterie pour un homme de son âge. Enfin il n’avait pas l’heur de me plaire autant que son frère avec lequel j’aurais fort aimé à causer davantage, si j’avais osé.

Après dix mois d’une union très orageuse, monsieur de Boigne me proposa un matin de me ramener à mes parents. J’acceptai et fus reçue avec joie. Mais ce n’était pas le compte du reste de ma famille, ni de ma société, qui voulaient exploiter le millionnaire et se souciaient fort peu que j’en payasse les frais.

Ce fut alors que je me trouvai victime et témoin de la plus odieuse persécution. Je lui reproche surtout de m’avoir, avant l’âge de dix-sept ans, arraché toutes les illusions avec lesquelles j’étais si bénévolement entrée dans le monde dix mois avant.

Monsieur de Boigne n’eut pas plus tôt lâché sa proie qu’il la regretta. Alors mes parents et ce qu’il y avait de plus distingué dans l’émigration se mirent à sa solde. L’un se chargeait de m’espionner, l’autre d’interroger mes gens. Celui-ci avait du crédit à Rome et ferait casser mon mariage. Celui-là trouverait des nullités dans le contrat, etc. etc. On faisait des parties chez lui où j’étais déchirée ; on inventait des noirceurs ; on les exprimait en prose et en vers qu’on lui vendait à beaux deniers comptants. Enfin tout le monde s’acharnait contre une enfant de dix-sept ans que, la veille, on comblait d’adulations.

Monsieur de Boigne lui-même en fut assez promptement révolté ; il ferma sa bourse et sa maison. J’ai vu