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UNE SEMAINE DE JUILLET 1830

m’attendait dans la cour. Je n’en pouvais plus ; il faisait une chaleur assommante. Elle me mena chez madame de Montjoie pour me reposer un instant. Mais Mademoiselle y arriva aussitôt ; elle m’emmena dans son cabinet, après avoir échangé quelques mots de politesse avec Arago. Elle était dans un état d’excitation visible, mais pourtant calme et avec l’air très résolu. Elle me montra un billet de son frère, écrit au crayon ; il était à peu près en ces termes : « Il n’y a pas à hésiter ; il ne faut pas aliéner Pozzo. Sébastiani ne sera pas nommé. Tachez de le faire savoir. » Je me chargeai volontiers de cette commission.

On ignorait encore à Neuilly la proclamation que j’avais entendu lire en chemin. Je me rappelais assez exactement les termes et je les rapportai à Mademoiselle. Dès l’intitulé : « Proclamation du Lieutenant général », elle m’arrêta :

« Du Lieutenant général ? vous vous trompez, ma chère.

— Non, Mademoiselle ; je l’ai entendu trois ou quatre fois et j’en suis sûre.

— Il comptait ne prendre que le titre de commandant de Paris.

— Il aura été entraîné par le vœu général. Il faut qu’il puisse commander hors Paris, comme dans son enceinte ; il n’y a qu’une pensée là-dessus » (et, à cette époque, cela était parfaitement exact). Je citai à Mademoiselle toutes les personnes que j’avais vues la veille, et le jour même : depuis madame de Rauzan et sa coterie jusqu’aux défenseurs des barricades, tous réclamaient l’intervention de monsieur le duc d’Orléans.

Mademoiselle l’admettait complètement nécessaire ; mais, selon elle, une seule démarche était indispensable et le devoir y était clair. Il fallait se jeter à travers les combattants pour arrêter l’effusion du sang, conjurer la