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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

Il avait été outré d’y trouver plusieurs pairs rassemblés sans qu’on eût songé à l’appeler, et, rentré chez lui, il avait écrit à Charles x pour lui demander à aller le trouver et à se mettre à sa disposition.

J’étais chez madame de Rauzan lorsque nous entendîmes un grand bruit dans sa cour. Elle fut bientôt remplie par un flot de populace traînant une charrette comble de paille, sur laquelle était mollement couchée une pièce de canon dont le peuple souverain venait faire un hommage civique à son héros Lafayette. On renvoya toute cette foule à l’état-major de la garde nationale, rue du Mont-Blanc. Elle ne commit aucun excès ; mais elle était laide à voir, ses cris étaient effrayants, de hideuses femmes y étaient mêlées. Ce n’étaient déjà plus mes amis des barricades.

La pauvre madame de La Bédoyère pensa mourir d’effroi. Il n’y avait pourtant aucun danger ; ce n’étaient que des cris de joie et de triomphe, mais de nature à inspirer un grand dégoût.

Comme je sortais de table, on m’apporta une lettre pour convoquer mon père à se rendre au Luxembourg, où le président du conseil, duc de Mortemart, attendait messieurs les pairs. Monsieur Pasquier passa chez moi en s’y rendant ; il était fort en peine de la santé de monsieur de Mortemart.

Je lui racontai les dispositions de Pozzo et les confidences d’Arago. Je n’en tirai pas grand’chose. Il me parut fort sérieux, convint qu’on avait perdu beaucoup de temps, mais que cependant il y avait encore des ressources si on voulait profiter de l’étonnement où étaient les deux partis, l’un d’être battu et l’autre d’être vainqueur, pour établir quelque chose de raisonnable qui ralliât les masses, car elles ne demandaient que repos et sécurité. Il resta peu d’instants ; les communications n’étaient pas