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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

avait ménagé de chaque côté de la barricade un très petit passage pour les piétons ; l’usage en était libre à chacun, personne n’y mettait empêchement. Je parle des barricades que j’ai vu établir ; plusieurs étaient autrement faites et incommodes à franchir.

Il n’y avait plus moyen de songer à partir ; j’en fus soulagée. Rien n’est plus difficile dans de pareilles circonstances que de prendre une décision.

Ma femme de chambre m’amena une madame Garche, marchande de la rue du Bac. Cette femme avait marié sa fille dans le quartier de la Halle. Elle avait appris, le mercredi matin, que la jeune femme souffrait pour accoucher et même était en danger.

Deux fois elle s’était mise en route pour l’aller trouver ; elle n’avait pu passer aucun pont ; on se battait sur tous. Enfin, vers les minuit, elle était parvenue jusqu’au Carrousel. On avait voulu la renvoyer ; cependant elle s’était glissée le long des murs. Arrivée à un endroit ouvert, où la lune donnait en plein, elle fut aperçue. Un officier voulut la faire retourner. Elle le suppliait de la laisser passer, lorsqu’elle entendit ordonner en jurant de la chasser. « C’est le maréchal, dit l’officier, allez, allez vite. » Inspirée par son courage de mère, cette pauvre femme courut droit au maréchal. Elle lui conta sa position ; il se retourna à un aide de camp et lui dit : « Allez donc dire aux guichets qu’on ne laisse passer personne » ; puis, se tournant vers madame Garche, « Venez, madame, donnez-moi le bras ». Il la conduisit jusqu’au dernier poste ; en la quittant, il ajouta : « Hâtez-vous, jetez-vous tout de suite dans les plus petites rues et n’en sortez pas, Dieu protège les bonnes mères ! » En effet, elle était arrivée heureusement chez sa fille ; elle l’avait trouvée accouchée et bien.

En cherchant à regagner le faubourg Saint-Germain