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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

Revenons au mercredi. Les rues étaient peu sûres, on ne communiquait guère ; cependant je vis deux ou trois fois dans la journée monsieur Pasquier, le duc et la duchesse de Rauzan qui, ainsi que monsieur de Lafayette, logeaient dans la maison contiguë à la mienne. Nous nous instruisions mutuellement de tout ce que nous apprenions ; c’était pour la plupart de vagues on-dit. Le canon demeurait toujours le plus explicite des rapports qui nous parvenaient,

Vers la chute du jour, le bruit du tocsin, par toutes les cloches de Paris, vint se joindre à celui de l’artillerie ; il nous parut encore beaucoup plus effrayant et plus lugubre.

Il faisait un clair de lune magnifique, une chaleur assommante, pas un souffle d’air. Les bruits ordinaires d’une grande ville étaient suspendus ; le son sinistrement monotone du tocsin, les décharges continuelles de coups de fusils et fréquentes de coups de canon les avaient remplacés. De temps en temps, des lueurs rouges, s’élevant au-dessus des toits, signalaient quelque incendie et ajoutaient encore à la terreur à laquelle on était en proie.

Je vis, au clair de la lune, un grand drapeau noir arboré sur le haut de la Madeleine ; je ne sais dans quel moment on l’y avait placé, mais il répondait parfaitement à nos impressions.

Je passai toute la soirée à errer dans la cour, dans les escaliers, aux fenêtres donnant sur la rue, recueillant les propos des voisins rapportés par mes gens, et tous de plus en plus alarmants : la moitié de Paris était brûlée, le duc de Raguse était mortellement blessé, le général Talon tué ; il ne restait pas un seul lancier, la rivière était rouge de sang versé, etc., etc.

Sur les onze heures, le feu se calma. Une demi-heure