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MORT DE MONSIEUR DE TALLEYRAND

Madame de Dino, tiraillée entre les gens qui lui reprochaient de ne point insister auprès de monsieur de Talleyrand pour obtenir une abjuration des scandales de sa vie et ceux qui l’accusaient de vouloir, par intérêt personnel, troubler les derniers moments du malade, se trouvait dans une pénible situation.

Elle se décida enfin, le mardi soir, à faire un appel aux intentions connues de monsieur de Talleyrand pour l’engager à signer les déclarations rédigées par avance.

Il reçut fort mal cette ouverture, en lui disant qu’il signerait quand il en serait temps. Les médecins ne dissimulaient pas le danger imminent. Madame de Dino crut tous les soins dont elle s’occupait depuis si longtemps perdus et s’en désola de bonne foi. Le zèle sincère et pieux de la jeune Pauline eut plus de succès. C’était l’enfant de prédilection de la vieillesse du prince ; elle le soignait avec tendresse et dévouement. Elle lui parla de cette signature si ardemment désirée par son cœur innocent qui n’en appréciait pas l’importance temporelle.

Monsieur de Talleyrand lui dit qu’il s’en occupait sérieusement. En effet, le mercredi, après la visite des médecins, il annonça qu’il les signerait le lendemain, à quatre heures du matin. Puis il continua à voir du monde, mais moins que les jours précédents.

Madame Adélaïde m’a raconté qu’elle y avait passé une partie de la soirée. Après quelques expressions de reconnaissance sur sa bonté, il était tombé dans des sujets de conversation ordinaire, sans y mettre aucune espèce d’affectation, pas même celle d’une gaieté insolite.

Sans la position douloureuse à voir que j’ai déjà décrite, on aurait pu le croire dans son état accoutumé. Mais les gens de l’art ne permettaient aucune illusion et donnaient de grandes alarmes pour la nuit.