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LE MARIAGE DU DUC D’ORLÉANS

demi-douzaine, en dehors de dames de maisons, des femmes des ministres et des étrangères.

On donnait le Misanthrope, pitoyablement joué, même par mademoiselle Mars. Ce qui me divertit parfaitement pendant le spectacle, et je ne puis m’empêcher de le noter ici, c’est un monsieur placé derrière moi et portant des épaulettes de lieutenant-général : homme de goût, plus que d’érudition, il n’avait jamais eu révélation du Misanthrope, ce qui ne l’empêchait pas d’y prendre un plaisir extrême et de rire plus que personne de ce qui s’y trouve de plaisant. Mais il éprouvait une anxiété, trop vive pour n’être pas communiquée à ses voisins, de ce qui allait arriver, des mauvais tours que cette friponne de Célimène jouait à ce pauvre Alceste ; et il en parlait avec une naïveté de colère parfaitement réjouissante.

Je crois, Dieu me pardonne, qu’il pensait que c’était une pièce composée par monsieur Scribe pour l’occasion ; toujours est-il qu’il en était également amusé et amusant.

Le Roi avait fait préparer pour cette représentation de magnifiques costumes, dont il fit cadeau à la Comédie-Française.

On les avait apportés le matin à Trianon. La Reine me raconta que le Roi s’étant diverti à en revêtir un, avec l’accompagnement obligé de la grande perruque, il était entré dans la chambre où elle se trouvait avec ses filles. Sa ressemblance avec Louis XIV était si frappante qu’elles avaient pu croire que le portrait peint par Rigaud avait quitté son cadre pour venir leur rendre visite.

Un ballet, arrangé pour la circonstance, termina le spectacle. Nous trouvâmes en en sortant le château entier éclairé. Le Roi promena les ambassadeurs, les étrangers