Page:Mémoires de la comtesse de Boigne Tome IV 1922.djvu/239

Cette page a été validée par deux contributeurs.
234
MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

parvient pas à les faire échapper. Ils se croyaient sûrs de rentrer dans la place tambour battant et dictant leurs lois.

Comme toutes les congrégations, les doctrinaires ne reconnaissent de mérite qu’à ce qui forme leur coterie, et, à force de le répéter, ils se le persuadent à eux-mêmes, de sorte que, très consciencieusement, ils n’admettent pas la possibilité que le vaisseau de l’État puisse être en d’autres mains et la position leur paraît anormale, comme ils disent, lorsqu’ils ne le dirigent pas.

Or, comme les situations anormales sont nécessairement passagères, il est logique de conclure qu’elles doivent promptement cesser. En conséquence, ils se refusèrent à porter aucun secours au nouveau cabinet.

Monsieur Molé fut obligé de le composer de non-valeurs, ou du moins de personnes à peu près inconnues sous le rapport politique. Monsieur de Salvandy seul avait acquis une réputation d’écrivain polémiste, mais elle ne pesait pas assez pour être d’une grande assistance.

Monsieur Molé se jeta donc à peu près seul sur cette mer orageuse, et, jusqu’à présent (septembre 1838), la Providence a justifié son courage ; mais, à l’époque dont je parle, il était loin d’avoir et surtout d’inspirer autant de confiance.

Quoique l’attentat de Meunier et les diverses tentatives, dites complot de Neuilly et de la Terrasse, eussent nécessairement renouvelé les inquiétudes de la famille royale, cependant le Roi ne pouvait plus résister à l’ennui de la réclusion à laquelle on l’astreignait, et s’en dégageait insensiblement.

Il adopta avec empressement la proposition qui lui fut faite de passer la garde nationale en revue ; et cette cérémonie, qui levait les arrêts forcés imposés par le dernier ministère, eut lieu peu de jours avant celui où