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FONTAINEBLEAU EN 1834

Depuis longtemps, je n’avais vu à la Reine l’air aussi serein. L’affligeant épisode des tristes aventures de la duchesse de Berry l’avait désolée ; elle en avait été atteinte et comme parente et comme princesse, et comme dame et comme femme ; cette pénible impression commençait à s’affaiblir et, comme je l’ai déjà dit, la situation des affaires publiques paraissait sous un jour assez favorable.

Je restai un instant en arrière avec la Reine dans son boudoir. Je lui dis, en lui baisant la main, combien j’étais heureuse de la voir contente et réconciliée à sa situation :

« Non, ma chère, pas un jour, pas une heure, pas un instant ; ici, comme à Paris, comme partout, c’est toujours comme dans ma chambre à coucher de Neuilly, toujours, toujours !!… »

Elle était fort troublée. Elle m’embrassa les larmes aux yeux, et nous réjoignîmes le groupe des visiteurs où elle reprit immédiatement son maintien calme et enjoué.

Ce rappel à la scène de Neuilly où elle avait pleuré si amèrement dans mes bras le jour où il avait fallu quitter sa douce et paisible existence pour venir prendre la couronne d’épines à laquelle elle se trouvait comdamnée me frappa d’autant plus en ce moment que j’étais sous le charme de ces grandeurs héréditaires, pour lesquelles elle semblait si bien faite, mais qui pourtant lui paraissaient si lourdes à porter.

L’usurpation, me dis-je, même la plus forcée, même la plus innocente, même la plus utile, est donc un grand fardeau ! Cette impression fut très profonde en moi et me gâta le reste de mon séjour à Fontainebleau. Ces sourires que je voyais ne cachaient-ils que des soucis ?

On annonça les voitures. Quatorze calèches, à quatre et à six chevaux, étaient réunies dans la cour du Cheval blanc ; on avait d’avance réglé comment elles devaient