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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

tous les sens sans beaucoup se soucier de la route qu’il tient. Cependant, après une digression historique sur le plus ou moins de dévouement des peuples au sang de leurs rois suivant le degré de civilisation où ils sont parvenus, il revint au but en racontant combien la conduite personnelle de madame la duchesse de Berry l’avait amoindrie aux yeux de ses plus zélés partisans dans les provinces de l’Ouest.

« Ils en gémissent, ajouta-t-il, en racontant des histoires étranges, et on prétend même que la personne royale, pour me servir des expressions de madame de Boigne, est grosse à pleine ceinture et que c’est une des raisons qui la forcent à se tenir cachée. »

Je haussai les épaules.

« Hé bien, repris-je, c’est un motif de plus à ne la point vouloir prendre et à faciliter son évasion. Hé, bon Dieu, qu’auriez-vous à craindre d’elle en un pareil état et qu’en pourriez-vous faire ? La honte d’un tel fait serait partagée par ceux qui le publieraient ! »

Monsieur de Rigny qui, jusque-là, avait gardé le silence, m’appuya en ce moment. Monsieur Pasquier apporta de nouveaux arguments à l’appui de l’opinion qu’il avait déjà soutenue.

Monsieur Thiers était visiblement ébranlé, mais revenait à dire cette arrestation nécessaire à la consolidation du pouvoir royal. Il en était trop persuadé pour se refuser à accepter la responsabilité de tous les inconvénients dont nous le menacions. La pendule, en sonnant deux heures après minuit, fit lever ces trois messieurs à la fois et ils me laissèrent seule.

À peine achevais-je de déjeuner le lendemain, monsieur Pasquier arriva chez moi :

« Je n’ai pas fermé l’œil de la nuit, me dit-il en entrant.

— Je vous en offre autant, répliquai-je… »